Les zoos, une chance pour préserver la biodiversité?

Christophe Abegg


Le zoo peut-il réellement participer à la préservation de la biodiversité, et si oui, doit-il le faire à la façon d'une arche de Noé? Car peut-on légitimement faire se multiplier quelques espèces rares dans les zoos, s'il n'existe que peu de chance de les réadapter un jour à leur milieu naturel?
Pour être crédibles, les responsables des parcs zoologiques se doivent tout d'abord de réduire les troubles du comportement des animaux en captivité, avant de prétendre sauver la vie sauvage. Si l'idée que la nature doit être mise en boîte pour être préservée est un mythe dangereux, en revanche, avec une démarche pédagogique nouvelle, les zoos peuvent être des lieux intelligents, privilégiant l'information du public.
En changeant de fonction, en se transformant en un véritable centre d'information plutôt qu'en un centre illusoire de stockage d'espèces en voie d'exctinction, le zoo peut participer activement à la prise de conscience de la disparition des derniers espaces sauvages de notre planète, et même aider à mobiliser l'opinion sur des actions concrêtes, hors des murs du zoo, là où se trouvent les véritables enjeux de la conservation de la biodiversité.


Déjà en 1925, le primatologue américain Yerkes signalait qu'un bon environnement de captivité devait laisser à l'animal des possibilités d'exploration, pour qu'il cherche lui-même sa nourriture. On sait aujourd'hui que même rassasiés, les singes continuent à fourrager s'ils en ont la possibilité. Malgré les conseils de Yerkes, beaucoup de professionnels des zoos pensent toujours qu'il est plus " humain " de satisfaire aux besoins des animaux sans qu'ils aient d'efforts à fournir. Une cage de zoo, un sol en béton dans un espace simplifié est plus facile à fabriquer et à nettoyer, mais les conséquences sont désastreuses pour les animaux. Des troubles du comportement s'y observent fréquemment. Tout le monde connaît les va-et-vient incessants et obsédants des ours, fauves en cages, ou tout autre animal isolé dans un univers pauvre en stimulations.
Les zoos font partie de notre patrimoine, mais que faire de cet héritage jugé démodé et encombrant par certains? Les animaux nés en captivité ne peuvent être relâchés dans leur milieu d'origine sans d'immenses difficultés. D'un autre côté, le seul plaisir du public à contempler des animaux sauvages ne peut justifier leur enfermement. Des ménageries de curiosités se sont répandues au XVIIème siècle, jusqu'à constituer ensuite des zoos au sein des nations coloniales et industrielles en plein essor. Est-il légitime aujourdh'hui de conserver des animaux sauvages exotiques dans notre espace urbain, en cette fin du XXème siècle?
Trois arguments sont généralement invoqués par les responsables des zoos: la conservation d'espèces rares, la recherche scientifique et l'éducation du public. Il se dégage une certaine politique de gestion de l'animal sauvage. Certains avancent ainsi l'idée d'un conservatoire des espèces. Pourtant, l'on sait aussi qu'une logique d'appropriation, qui est caractéristique de la tradition occidentale envers le monde naturel, est à l'oeuvre dans nombre des politiques de conservation de la nature (1). Présenter le zoo comme un conservatoire n'est-il pas en fait une nouvelle forme déguisée d'appropriation du monde naturel et donc, un alibi pour faire oublier son aspect carcéral? Le zoo peut-il réellement participer à la préservation de la biodiversité, et si oui, doit-il le faire à la façon d'une arche de Noé?

Le zoo, une banque génétique de la création?

Face à une nouvelle sensiblilité de l'opinion envers le monde animal, les responsables des parcs zoologiques craignent une baisse de la fréquentation. En réaction, un discours s'est élaboré mettant en avant une mission de conservation: la reproduction d'espèces menacées devrait être le fer de lance des parcs zoologiques modernes (2). Les échanges entre différents zoos de représentants d'espèces rares tentent actuellement de maintenir la diversité génétique dans les populations captives. Une telle coordination laisse espérer la réintroduction d'animaux dans leur milieu naturel.
Cet espoir a été entretenu par quelques exemples de réintroductions réussies. Sur une trentaine de tentatives concernant des espèces de mammifères, des populations viables ont pu être rétablies pour moins d'une dizaine. C'est le cas pour le bison et le loup américain, la loutre européenne, le tamarin-lion, l'oryx d'Arabie ou le bison d'Europe. Cependant, les réintroductions restent problématiques: les coûts sont élevés, et les difficultés logistiques aussi bien que la disparition des habitats rendent souvent impossible la remise en liberté de la plupart des espèces menacées maintenues en captivité (3). Des jeunes éléphants mâles capturés au Parc de Kruger, une fois relachés dans la reserve de Pilanesberg, en Afrique du Sud, se sont mis à l'âge adulte à monter des femelles rhinocéros, ou encore, à se montrer excessivement agressifs envers les hommes. Le simple fait que leur vie familiale a été écourtée paraît être à l'origine de ces comportements aberrants. Le comportement et les chances de survie d'un mammifère sauvage passe par un long processus d'apprentissage dans sa population et son milieu d'origine. Ainsi, un essai d'introduction de chimpanzés captifs, avec lesquels a été formé un groupe avant de les relâcher, a montré ses limites: les congénères sauvages se sont en effet montré peu compréhensifs à leur égard, et même violents, probablement du fait de l'ignorance des nouveaux venus de certaines règles sociales (3). En outre, chez les animaux sociaux, certains individus connaissent les refuges et les sources de nourriture, souvent multiples et saisonnières, et des traditions à partir de ces informations contribuent certainement à la survie des groupes. Même s'ils ont les mêmes compétences au départ, les animaux élevés en captivité ont une expérience insuffisante pour faire face à l'imprévisibilité de l'habitat naturel.
L'image d'une "arche de Noé ", mise en avant par des responsables de zoos, est inappropriée car elle alimente le faux espoir d'une nature qui serait aisément reconstituable. Selon le biologiste Wilson, 4000 à 6 000 espèces animales ou végétales disparaissent chaque année à cause du seul défrichement des forêts tropicales humides (4). Si rien n'est fait pour lutter contre les causes de dégradation des milieux abritant les espèces menacées, celles-ci ne seront bientôt d'aucune utilité en cage. Ceci à l'image, par exemple, des derniers lions de l'Atlas - maintenus au zoo de Rabat - qui représentent les derniers représentants d'une sous-espèce de lion (plus grande et avec une crinière plus foncée), autrefois répandu au Maghreb. Pourrait-on imaginer aujourd'hui réintroduire au Maroc le lion, disparu au début du siècle, ou encore l'éléphant, toujours présent vers le XIIème siècle?
Dans beaucoup de lieux sauvages menacés, les populations animales qui les peuplent n'ont pas encore atteint le seuil critique. Au lieu de récolter des exemplaires pour d'hypothétiques (ré)introductions - mais où? - il peut se révéler moins coûteux de devancer les disparitions par des programmes de préservation sur le terrain. On peut par exemple aider à payer des gardes sur les zones où une espèce est en danger. De cette façon, il ne s'agit plus d'une seule, mais du grand nombre d'espèces partageant le même habitat qui peut être protégé.
Malgré ses limites, l'objectif de réintroduction comporte parfois des avantages. Il oblige par exemple à se documenter sur le milieu et les problèmes que les animaux rencontrent. Une connaissance plus précise du comportement des animaux dans leur habitat peut servir en retour à améliorer le bien être des animaux captifs.

Des recherches dans les zoos et de leurs applications possibles

L'information dispensée au public va dépendre du type de recherches qui est mené au sein des zoos. Actuellement, le gros des recherches est orienté vers la reproduction: grâce à l'insémination artificielle, la fertilisation in vitro, ou au suivi des cycles hormonaux des femelles, on cherche à optimiser les élevages. Ces dernières innovations semblent arriver à point nommé pour sauver la biodiversité. On pourra peut-être un jour, comme dans "Jurassik Park ", recréer des dinosaures à partir de brins d'ADN, ou alors des mammouths voire des hommes de Néandertal, et les montrer dans ce qui serait le zoo du futur !
Pour un animal captif, rien ne va remplacer sa jungle ou sa savane. Cependant, cela justifie-t-il de faire si peu pour améliorer la qualité des espaces de captivité? (5). Il ne s'agit pas de créer l'illusion que l'animal captif est dans son milieu naturel, il faut recréer au mieux un environnement qui répond aux besoins de l'animal. Au bout du compte, il s'agit d'enrichir l'environnement interne, le fonctionnement mental des animaux. Une forêt dense peinte sur les murs d'une cage en béton d'un orang-outan agira plutôt sur l'esprit du visiteur que sur celui du singe. En revanche, un environnement social approprié et des aménagements de l'espace seront susceptible d'agir sur son bien être. Il n'est donc pas étonnant que, lorsque les volontés et les moyens existent, une approche "naturaliste " se développe, s'employant à mettre au point des environnements " semi-naturels " (5). Elle fait intervenir des scientifiques et des "designers " au service de zoos généralement à l'avant-garde en la matière, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en Allemagne. Outre le respect des caractéristiques sociales des espèces, nombre de moyens simples et bon marché sont efficaces pour enrichir leurs espaces de captivité (6). L'un des moyens consiste simplement à utiliser le paysage naturel potentiel sur les lieux mêmes du zoo. Les plantes locales sont en effet plus résistantes aux agressions extérieures, le climat ou l'action des animaux (5). Et des friches suffisamment vastes et entretenues sont beaucoup plus riches que les matériaux inanimés (béton, sable, rocher...) habituellement proposés aux animaux. On peut d'ailleurs remarquer que dans la conception classique des zoos, les haies et les fleurs sont le plus souvent du côté des visiteurs, ce qui force souvent les animaux à déployer de multiples stratégies pour atteindre de l'autre coté du grillage, mais juste sous leur yeux, quelques brins de verdure. La conception naturaliste de la gestion des animaux convient non seulement à l'observation du comportement des animaux par le public mais aussi par les chercheurs. Le groupe d'une trentaine de chimpanzés au zoo d'Arnhem aux Pays-Bas représente par exemple un trésor d'informations exceptionnel sur nos proches cousins (7), autrement difficile d'accès sur le terrain. Cette conception donne aussi de bons résultats en matière de reproduction. Quand les individus d'une même espèce sont placés en groupe, il est possible d'améliorer le succès de la reproduction en termes de soins apportés aux jeunes par leurs vrais parents. Trop souvent, du fait d'un comportement inadapté, les mères se voient retirer leurs petits, qui seront élevés par le personnel du zoo, mais qui donneront à nouveau des parents incompétents à l'âge adulte, faute d'avoir pu vivre avec des modèles de leur propre espèce... Finalement, que l'on cherche à conserver par des élevages ou à mieux présenter les animaux captifs, il faut bien reconnaître que l'effort paraît dérisoire face à l'urgence des actions concrètes à mener sur le terrain, en nombre bien insuffisant à ce jour pour ralentir le rythme des disparitions d'espèces. Dans un même temps, dans nos villes, le public défile d'une cage à l'autre, et la diversité, l'aspect spectaculaire des animaux ou encore l'étiquette "espèce en voie de disparition " restent les principaux arguments pour attirer les visiteurs.
Cette présentation sous forme de " collection d'objets vivants " est en butte aux accusations des détracteurs des zoos, au même titre que l'enfermement des animaux. Ainsi, l'article 10 de sa déclaration de 1989, la ligue internationale pour les droits de l'animal propose: " l'éducation et l'instruction publique doivent conduire l'homme, dès son enfance, à observer, à comprendre et à respecter les animaux " (8) Au lieu de susciter l'intérêt pour chaque espèce, en améliorant les conditions de captivité, on préfère trop souvent attirer les visiteurs en présentant le plus grand nombre d'animaux différents. Pour rattraper le retard, il faut privilégier la relation entre un public qui prend plaisir à observer et les animaux. La conception de l'espace du public et de celui de l'animal devrait amener le visiteur à observer avec discrétion un animal qui évolue dans son univers propre, plutôt que de suggérer qu'il a besoin de son spectateur pour se mettre en action (grâce aux cacahuètes).
L'enrichissement des conditions de captivité est un objectif de recherche à part entière avec des applications dont l'efficacité est vérifiée. Lorsque les conditions de captivité sont bonnes, on a pu vérifier que les comportements sociaux des primates captifs restent cohérents avec ceux observés dans la nature. Ainsi, récemment redécouvert, le bonobo reste une espèce de chimpanzé au comportement différent du chimpanzé habituel, aussi bien en captivité qu'en liberté. Des zoos qui tiennent compte du bien-être des animaux pourraient bien être les lieux adaptés à l'éducation des enfants, en particulier pour faire comprendre ce qu'est un animal sauvage et où il vit d'habitude. Un centre d'information à l'intérieur du zoo peut proposer des films, des expositions, des conférences, des bornes interactives multimédias et des animations pour les enfants.
La lutte contre l'appauvrissement de la diversité génétique des petites populations captives n'est d'aucune utilité si leur biotope disparaît. Des zoos comme celui de San Diego, Francfort, Jersey ou Mulhouse ont d'ailleurs pris conscience du rôle qu'ils ont à jouer sur le terrain, et financent des projets qui aident certains pays à renforcer les mesures de protection autour de zones-clés.
Aujourd'hui, le zoo peut distraire et informer agréablement, à la condition d'exposer résolument des animaux en meilleure forme. En suivant l'exemple de la nouvelle conception qui commence à s'imposer dans plusieurs pays, il s'agit avant tout d'améliorer le bien-être des animaux et de développer l'intérêt des visiteurs en faveur d'une observation plus attentive des comportements.
Les zoos des nations industrialisées doivent désormais remplir une fonction pédagogique. Mais cela nécessite de mieux prendre en compte les besoins des animaux captifs, en se référant à leurs congénères sauvages. En retour, le zoo serait mieux en mesure d'informer, et de faire participer le public à des actions de protection de la diversité naturelle, là où elle se trouve en danger. En effet, quel sens y a-t-il à faire se reproduire en captivité des tigres de Sibérie ou des panthères de l'Himalaya en vue d'une hypothètique réintroduction si nous sommes incapable d'agir sur la dégradation des milieux de ces espèces? De plus, si nous refusons en France de cohabiter avec des ours ou des loups sauvages, pourquoi les Sibériens ou les Indiens devraient-ils vivre avec leurs fauves en liberté? L'attention doit maintenant se porter sur la sauvegarde de la vie sauvage hors des zoos, mais les zoos peuvent jouer leur rôle en informant le public en partant d'une situation anormale: la captivité.

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N.B. Je remercie les zoos de Rheine en Allemagne, ainsi que celui de Emen, aux Pays-Bas, dont les politiques de gestion innovantes m'ont inspiré pour cet article. Je remercie aussi F. Joulian, B. Thierry, P. Pfeffer, D. van Reybrouck, J. Anglin P. Olivier, H. Debris et O. Hein pour leurs discussions et avis stimulants.

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(1) Baratais, E. & Hardouin-Fugier, E. (1998). Zoos, Histoire des Jardins Zoologiques en Occident (XVI-XXe siècles). La Découverte, Paris.
(2) Brouard, P. (1994) Petite Histoire des Ménageries du Jardin des Plantes de Paris. SECAS, Paris.
(3) Kleiman, D.G. (1989). Reintroduction of captive mammals for conservation. Guidelines for reintroducing species into the wild. BioScience 39: 152-161.
(4) Wilson, E. (1989) La diversité du vivant menacée. In: Pour la Science 145: 66-73.
(5) Coe, J. C. (1989). Naturalizing habitats for captive primates. Zoo Biology Supplement 1: 117-125.
(6) Shepherdson, D.J. (1988). The application and evaluation of behavioural enrichment in zoos. Primate Report 22: 35-42.
(7) de Waal, F.B.M. (1987). La Politique du Chimpanzé. Editions du Rocher, Monaco.
(8) Chapouthier, G. (1992). Les Droits de L'Animal. P.U.F., Paris. (9) Dory, D. (1990). Comment enrayer la disparition des forêts africaines ? In: Manières de Voir, La planète Mise à sac, 38-42.